Le 16 septembre 1936, le trois-mâts vapeur le Pourquoi-Pas ? fait naufrage à Aftanès (Islande). Il n’y aura aucun survivant à l’exception d’un seul marin (le maître-timonier Eugène Gonidec). Tout le reste de l’équipage de ce navire scientifique a péri en mer, dont l’une des figures de l’exploration Jean-Baptiste Charcot (1867-1936) surnommé par ses pairs le « gentleman polaire », tant son aura et son charisme étaient grands.
80 ans plus tard, une délégation française s’est déplacée sur le site même du naufrage à Álftanes (Islande), à côté de la ferme de Straumsfjördur. Un hommage initié et organisé par sa famille, « l’amicale des amis du Pourquoi-Pas et de Charcot », et soutenu par l’Ambassade de France en Islande.
Une trentaine de proches du commandant Charcot, dont Anne-Marie Vallin-Charcot – petite-fille de l’explorateur (née un mois avant la disparition de son aïeul) et gardienne de la mémoire – a ainsi rendu hommage à une grande figure de l’exploration aujourd’hui oubliée. Côté français, la délégation comptait également Philippe O’Quin, ambassadeur de France en Islande, le lieutenant-colonel Galodé, attaché de défense pour les pays scandinaves et l’Islande ainsi que le député de la 2ème circonscription de Haute-Savoie Lionel Tardy (LR), président du groupe d’amitié France-Islande à l’Assemblée Nationale.
En escale à Reykjavik, les marins du bâtiment océanographique « Pourquoi Pas ? » – armé par l’Ifremer et la Marine nationale – se sont également associés et rendus à cette cérémonie pour rendre hommage à un glorieux ancien et à son bateau, dont il continue de perpétuer la tradition en portant le nom.
BONUS
Lire le récit du naufrage : Le dernier voyage du Pourquoi-Pas ?
Un hommage franco-islandais
À Aftanès, la cérémonie a également associé des Islandais présents en nombre avec un commandant des gardes-côtes, 2 membres du corps des sauveteurs en mer d’Akranes ainsi que les enfants et petits-enfants de Kristján Þórólfsson, le sauveur d’Eugène Gonidec, le seul survivant du « Pourquoi-Pas? ».
Après des mots d’accueil et des discours rappelant les conditions du naufrage, la cérémonie s’est poursuivie par un dépôt de gerbes sur le cairn érigé à proximité des lieux du naufrage. Un dépôt de gerbe effectué par les marins du « Pourquoi Pas ? » a précédé une minute de silence, lourde d’émotions et de sens.
L’assistance s’est ensuite déplacée sur la plage attenante, où les corps des 20 naufragés du trois-mâts « Le Pourquoi Pas ? » ont été recueillis en 1936.
40 roses à la mer en hommage
Petite-fille de l’explorateur, Anne-Marie Vallin-Charcot a été la première à jeter une rose blanche à la mer en hommage à son aïeul disparu il y a 80 ans jour pour jour. 39 proches et invités ont ensuite jeté à leur tour des roses en hommage à Charcot et aux marins du Pourquoi-Pas disparus. Drame national en France en 1936, ce naufrage continue de marquer l’inconscient collectif en Islande.
« Nous sommes un peuple de marins et de pêcheurs. Chez nous, la Nature peut se révéler féroce et impitoyable. Les morts en mer ont été nombreux. Cette tempête de septembre 36, complètement imprévue, a été dévastatrice. Ce naufrage a marqué en son temps mes compatriotes. Les plus anciens s’en souviennent encore. Il est temps de le rappeler aux plus jeunes et de leur raconter un pan de notre histoire. Même si nous sommes complètement tournés vers la modernité, nous n’oublions pas nos racines. Et Charcot fait partie de l’histoire de notre pays », a tenu a rappeler Gunnlaugur A. Júlíusson, le maire de Borgames.
Charcot, un précurseur des sciences polaires
C’est d’ailleurs dans cette localité voisine du naufrage que se tient actuellement une exposition dédiée Charcot. « C’est le symbole fort des liens qui unissent l’Islande, ses habitants et mon grand-père. Sa mémoire n’est pas effacée, et là est l’essentiel ! Mes enfants, petits-enfants et moi, tous nous continuons de faire briller sa flamme. C’est important car Jean-Baptiste Charcot a été un précurseur des sciences polaires. Ses travaux continuent d’influencer les scientifiques d’aujourd’hui », a tenu à rappeler Anne-Marie Vallin-Charcot, la petite-fille de l’explorateur, à Aftanès.
Vendredi 16 septembre, jour anniversaire de la disparition de Charcot, l’hommage à Charcot s’est poursuivi par une messe à l’église catholique de Landakot à Reykjavik, en présence de Gudni Johannesson, l’actuel président de la république d’Islande, de Vigdis Finnbogadottir, ancienne présidente de la république islandaise (1980-1996) et du maire de Reykjavík. Une cérémonie s’est ensuite déroulée dans le cimetière de Fossvogur, où sont enterrés les corps de marins du Pourquoi-Pas ?.
À noter qu’un timbre spécialement édité pour l’occasion a été lancé ce même jour à bord du navire océanographique éponyme. Le samedi 17 septembre, un colloque sur l’héritage de Charcot s’est déroulé à l’université de Reykjavík, en présence notamment de Gudni Johannesson, l’actuel président d’Islande, et de Jean-Louis Étienne, explorateur polaire français de renom.
Récit et photos de Stéphane Dugast
(envoyé spécial en Islande)
QUI ÉTAIT JEAN-BAPTISTE CHARCOT ?
Fils du célèbre médecin neurologue (Jean-Martin Charcot), Jean-Baptiste Charcot (1867-1936) a été médecin à son tour pour satisfaire aux desiderata son père. Mais il va se consacrer, dès 1903, à l’exploration maritime des régions polaires australes, à bord notamment du trois-mâts Le Français, un navire construit à Saint-Malo. Il passera vingt-deux mois en Antarctique, le long de la Terre de Graham dont un hivernage à l’île Wandel. À son retour en France, Charcot est acclamé mais Le Français, endommagé, sera vendu au gouvernement argentin. L’explorateur fait alors construire Le Pourquoi Pas ?, toujours à Saint-Malo et continue d’explorer l’Antarctique. Après cette expédition, Charcot ne retournera pas dans ces régions australes, mais il va explorer avec Le Pourquoi Pas ? les régions boréales de 1911 à 1914 comme navire école.
Pendant la première guerre mondiale, il commande successivement deux navires anti-sous-marins, La Meg puis La Meg II, du nom de sa femme. À partir de 1925, Charcot retrouve son Pourquoi-Pas ? et reprend les expéditions arctiques, notamment au Groenland. Il mettra en 1934 « le pied à l’étrier » à un jeune ethnologue dénommé Paul-Emile Victor.
C’est après avoir déposé ce dernier sur la côte orientale du Groenland durant l’été 1936, que son trois-mâts Le Pourquoi Pas ?, victime d’une tempête d’équinoxe, va sombrer au large d’Aftanès en Islande le 16 septembre 1936 au matin.